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Le Renseignement Criminel Prévisionnel : la Criminologie comme ferment essentiel - l'ecojudiciaire
<strong>Le Renseignement Criminel Prévisionnel : la Criminologie comme ferment essentiel</strong>

Le Renseignement Criminel Prévisionnel : la Criminologie comme ferment essentiel

Par Siméon WACHOU, Expert Criminel de Justice, Analyste Criminel Opérationnel.

La criminalité organisée est particulièrement difficile à qualifier par la multiplicité des groupes, des secteurs d’activité et des objectifs poursuivis. Notons que c’est en mai 1988, à l’occasion d’un colloque international sur le crime organisé que, pour la première fois, le secrétariat international d’INTERPOL a proposé la définition suivante : « Toute association ou groupe d’individus engagé dans une activité illégale continue dont l’objectif est le profit, indépendamment des frontières » . Les Nations unies ont, quant à elles, défini la criminalité organisée comme « un groupe structuré de deux à trois individus, agissant ensemble sur une période limitée avec l’objectif de commission d’une ou plusieurs infractions de haut niveau en vue d’obtenir directement ou non un bénéfice financier ou matériel »

La pluralité de ces définitions, auxquelles s’ajoute celle du conseil de l’Europe et des pays composant le Golfe de Guinée , témoigne de la difficulté à caractériser un concept mouvant et polymorphe. La stratégie de lutte doit dès lors en envisager des modes d’analyse adaptatif et proactif. Les secteurs d’activité criminelle sont très diversifiés et englobent le trafic d’êtres humains, le racket, mais aussi les trafics d’armes, de drogues , de véhicules, de biens culturels, les cambriolages, les atteintes à l’environnement.

Les infractions liées aux stupéfiants, les fraudes bancaires et autres escroqueries en tout genre (cf. INTERPOL).

Lutter contre une criminalité organisée en perpétuelle mouvance nécessite d’adopter une position offensive fondée sur une analyse spatiale, temporelle et structurelle. Alors que les groupes criminels organisés étaient, il y a encore une décennie, très hiérarchisés, ils répondent aujourd’hui, pour une partie d’entre eux, à des règles plus proches du chaos, engendrant par là même une nécessaire adaptation des forces de sécurité. Ce chaos, illustré par une forme d’aplatissement de la hiérarchisation, génère une criminalité polysémique reposant à la fois sur une délinquance locale et une criminalité spécialisée, sur des méthodes traditionnelles et l’emploi des nouveaux moyens de communication. L’objectif n’est plus de réaliser « le coup », mais bien de commettre des attaques de masse à moindre profit individuel, mais aussi à moindre risque. Le profit est alors obtenu par la multiplication des faits. L’aplatissement hiérarchique ouvre le champ à des formes criminelles beaucoup plus créatives, isolées, parfois violentes et plus difficiles à contrôler. Alors que la police judiciaire s’est particulièrement développée sur les techniques d’investigation a posteriori, notamment par le développement de la police technique et scientifique et dans une certaine mesure l’identification Criminelle, l’heure est aux développements des méthodes a priori, par la mise en œuvre d’un renseignement criminel orienté vers la proaction.

Fondé sur un socle scientifique, le renseignement criminel intègre également une composante criminologique et une dimension judiciaire.

Figure Triptyque du renseignement criminel = Criminologie-Renseignement Criminel- Traitement judiciaire.

Ce triptyque est indispensable à un traitement analytique de masse, à une interprétation dans un contexte criminogène global et à une judiciarisation adaptée du renseignement. L’objet de la présente chronique d’Expertise Criminelle est de présenter les différentes formes analytiques offrant de nouvelles perspectives dans la lutte contre la criminalité organisée. L’approche s’appuie sur un renseignement orienté vers l’anticipation (cf. P. Williams et R. Godson) en se basant sur une analyse spatiale et temporelle de la criminalité ainsi que sur l’analyse des réseaux (cf. J. S. McIllwain) qui constitue le ciment des groupes criminels.

L’analyse spatiale dans la lutte contre la criminalité organisée:

Le crime n’étant pas un phénomène aléatoire, le lieu de commission répond à des critères dont la description peut expliquer la notion de concentration géographique, le parcours criminel d’un auteur ou d’un groupe, mais aussi les zones de commissions futures. Tout l’objet de l’analyse spatiale de la criminalité est de satisfaire à ce triple objectif. Cette forme d’analyse est d’autant plus importante en matière de criminalité organisée où la dimension transnationale comme la mobilité croissante des groupes nécessitent une démarche anticipative afin de ne pas souffrir en permanence d’un temps de retard obérant toute efficacité.

L’analyse spatiale étant nomothétique, elle repose sur un nombre de faits constatés qui doivent pouvoir être localisés précisément et être attribués à un même groupe criminel. Parce que la criminalité organisée perturbe le cycle statistique de la criminalité locale qui demeure dans l’espace et le temps relativement constante, la méthode pour détecter et délimiter des zones géographiques comprenant des changements de formes criminelles consiste à adjoindre aux fonctions d’agrégation (somme, moyenne) les plus courantes dans les techniques de type Spatial. d’autres fonctions comme l’étendue et l’écart-type. Les techniques SOLAP sont particulièrement adaptées prenant en compte notamment des données discrètes. Néanmoins, pour accroître la visualisation géographique et continue des parcours criminels, un algorithme d’estimation de la densité par la méthode du noyau (Kernel Density Estimation, ou KDE) est utilisé notamment dans la production des cartes de concentration criminelle (hot spots).

Ce type de méthode permet non seulement de détecter des changements de formes criminelles et donc de détecter les ressorts d’une criminalité organisée, mais aussi de considérer les processus de diffusion possibles de formes criminelles à des territoires plus étendus. En complément de l’analyse spatiale, la visualisation temporelle offre également des opportunités d’anticipation.

De l’analyse temporelle à l’anticipation contre la criminalité.

Alors que la criminalité organisée exploite de manière croissante la délinquance locale afin de demeurer en deçà d’un seuil de détection, les forces de l’ordre doivent aussi orienter leur action vers cette délinquance pour impacter les groupes criminels organisés. La stratégie par réaction ayant aujourd’hui démontré ses limites face à une délinquance en renouvellement constant, l’analyse temporelle à des fins d’anticipation apparaît comme particulièrement pertinente pour faire face à la menace criminelle (cf. P. Perrot).

« Prévoir consiste à projeter dans l’avenir ce qu’on a perçu dans le passé », énonçait Bergson, il y a plus d’un siècle. C’est exactement l’objet de la démarche prédictive adoptée. En effet, à partir de la détection d’une tendance à la hausse ou à la baisse et/ou d’une saisonnalité sur les années comprises entre 2020 et 2023, en ce qui concerne les actes terroristes, il est possible de construire un modèle prédictif qui sera validé sur l’année 2024 et projeté sur 2025 . Ces méthodes permettent par exemple d’anticiper les actes terroristes d’un point de vue quantitatif, mais aussi du point de vue formel. En effet, prédire le nombre d’actes terroristes en 2025 par exemple en toute exactitude est à n’en pas douter utopique, mais prévoir une tendance quantitative et une orientation évolutive est un objectif parfaitement pertinent dans le cadre d’une approche par anticipation.

Complétant l’analyse des séries temporelles, les méthodes de régression permettent d’expliquer et d’anticiper les phénomènes criminels à partir de variables externes. En effet, la criminalité organisée utilisant les ressorts de la dégradation socio-économique, il est opportun d’exploiter des variables externes au crime afin de décrire les corrélations qui peuvent exister entre des données socio-économiques et des infractions, mais aussi d’agir sur ces liens pour apporter des éléments prédictifs. Il est ainsi possible d’anticiper les conséquences d’une évolution à la baisse ou à la hausse de la délinquance en faisant varier certains facteurs comme le salaire moyen des habitants d’une région, la population entre dix-neuf et vingt-cinq ans… Ce type d’analyse permet de prévenir l’émergence d’une forme criminelle en agissant sur les facteurs socio-économiques d’un territoire.

Les modèles prédictifs fondés sur l’analyse des séries temporelles ou sur l’approche régressive apportent une réelle valeur ajoutée en permettant de prendre des décisions plus objectives, plus rapidement et à moindre coût. Ils constituent dès lors un véritable outil d’aide à la décision notamment face à une délinquance polysémique. Illustré par de nombreux actes terroristes, ce type d’analyse peut également s’appliquer aux vols à main armée, aux agressions ou règlements de compte, bref à toute infraction dont il est possible de tirer des enseignements du passé.

La lutte par l’analyse structurelle des réseaux criminels.

À l’analyse spatiale s’ajoute l’analyse structurelle des réseaux comme outil d’aide à la décision. Une telle approche est à la fois graphique et analytique et consiste à extraire des éléments de compréhension à partir d’une représentation cartographique d’entités reliées entre elles. Les entités peuvent être de toutes sortes : des individus, des entreprises, des groupes, des téléphones ou des ordinateurs, etc. À partir de ces entités, l’objectif est de proposer une vision globale du réseau en mettant en évidence les éléments les plus influents sur la structure. Ainsi, la cible n’est pas l’entité individuelle, mais le réseau dans sa globalité, accroissant dès lors la robustesse dans le temps d’une action.

Parmi les différentes méthodes d’analyse structurelle des réseaux, la théorie des graphes offre de réelles perspectives.

Il existe plusieurs possibilités de caractériser un réseau (forme, densité, liens) comme d’identifier l’individu déterminant d’une structure (liens, centralité).

En étoile, circulaire ou anarchique, quelle que soit la forme d’un réseau, celle-ci influe sur la réactivité, la robustesse comme la capacité de résilience de la structure. La densité d’un réseau correspond au rapport du nombre de liens existants entre les acteurs sur le nombre possible de liens. Une forte densité peut s’avérer extrêmement dangereuse du fait de la multiplicité des liens qui risque de rendre la structure moins contrôlable, mais aussi plus vulnérable. En général, ce sont des réseaux dont le poids hiérarchique est moindre, mais qui disposent d’une grande réactivité. Un réseau de faible densité en revanche témoignera d’un groupe structuré disposant d’une véritable politique de protection et de sauvegarde. Ce sont des réseaux très difficiles à atteindre en profondeur tels que les groupes criminels transnationaux.

Les liens à considérer dans un réseau sont familiaux, culturels, environnementaux, virtuels ou de spécialité. Les mesures de centralité (cf. L. C. Freeman) permettent d’expliquer et de prédire les rôles des individus, leur distance, leur leadership de même que la robustesse du réseau après une rupture et donc d’effectuer du ciblage objectif. Parmi les centralités les plus exploitables, nous noterons celle de degré, d’intermédiarité (cf. C. Morselli), de vecteurs propres ou encore d’articulation (cf. M. K. Sparrow).

Ainsi, face à un nouvel ordre criminel, englobant le haut comme le bas du spectre d’une criminalité, mondialisée, polyvalente, complémentaire, et abandonnant les structures classiques de type mafieux, les moyens de lutte doivent entamer une métamorphose d’ampleur en développant la notion d’anticipation.

Échanger l’information, analyser les structures, prédire la menace apparaît comme la combinaison essentielle à la lutte contre la criminalité organisée. La coopération policière comme avec les autres armées est aujourd’hui déterminante pour faire face à une criminalité transnationale qui trouve dans le contexte géopolitique actuel, une véritable source de développement. En effet, l’instabilité politique de nombreux pays, la situation économique internationale difficile, la multiplicité des zones de conflits qui participent à la prolifération des armes à feu constituent des éléments particulièrement propices au développement d’activités criminelles. Ainsi, lutter contre la criminalité organisée en profitant de l’apport des sciences ouvre aujourd’hui de nouvelles perspectives aux forces de sécurité en permettant de passer d’une posture réactive à une posture proactive. Par l’accroissement constant de la célérité des moyens de communication, et bien entendu l’avènement du Big Data, il est aujourd’hui inconcevable de ne pas s’orienter vers une démarche d’anticipation face à des groupes criminels de plus en plus prompts à changer d’activités.

Siméon Wachou

Expert Criminel de Justice

Analyste Criminel Opérationnel.

Expert Consultant MINDEF-SED Gendarmerie Nationale.

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