Cameroun-Tchad: les dessous de la brouille diplomatique
L’entrée de Savannah Energy Plc dans le capital de Cotco (soupçonnée par la présidence tchadienne d’être une société écran) a entraîné une crise diplomatique inédite entre les deux pays avec le rappel de l’ambassadeur du Tchad au Cameroun par Ndjamena pour « consultation » le jeudi 20 avril dernier.
Par Destin André Mballa
C’est une brouille diplomatique inédite entre le Cameroun et le Tchad, dans le secteur pétrolier, notamment en ce qui concerne la gestion du pipeline. L’ambassadeur du Tchad au Cameroun, Djidda Moussa Outman, a été rappelé par N’Djamena pour « consultation », selon un communiqué lu par le secrétaire général de la présidence Tchadienne le jeudi 20 avril à la télévision nationale.
En effet, la présidence Tchadienne s’oppose à l’accord de vente conclu entre la Société nationale des hydrocarbures (Snh) du Cameroun et Savannah Energy. L’accord prévoit le rachat de 10% des parts de Savannah Midstream, filiale de la junior britannique, dans Cameroon Oil Transportation Company S.A (Cotco) par la société pétrolière publique camerounaise. Coût de l’opération : 44,9 millions de dollars, soit près de 27 milliards de Fcfa.
Cet accord permettra de porter la part de la Snh dans le capital de Cotco qui exploite l’oléoduc sur la partie camerounaise (longue de 903 km) à 15,17% et de réduire celle de Savannah à 30,06%. La multinationale malaisienne Petronas à travers Doba Pipeline Investment Inc se maintiendrait à 29,77%, l’État tchadien à 2,74% et la Société des hydrocarbures du Tchad à 21,26%.
Une transaction qui selon la présidence tchadienne viole la convention et les statuts de Cotco. Pourtant, dans un communiqué, Savannah Energy Plc fait savoir que la cession des actifs n’est pas encore effective. Ce que prévoit d’ailleurs la filière britannique au second semestre 2023. Savannah Energy Plc indique qu’il faudrait au préalable remplir des conditions suspensives liées aux modifications des statuts de Cotco.
Pour le Tchad, cet accord trahi les liens amicaux qui le lient au Cameroun et soutient à Savannah Energy Plc que Ndjamena soupçonne d’ailleurs d’être une nébuleuse derrière laquelle sont tapis de hauts responsables de la présidence Camerounaise.
Rappelons, qu’en date du 9 décembre 2022, Savannah Energy Plc annonce son rachat des actifs du géant pétrolier américain Exxon Mobil au Tchad et au Cameroun. La Tchad en réaction conteste fermement cette acquisition en arguant que « en dépit des objections expresses du gouvernement tchadien » et « en violation des conventions de recherches, d’exploitation et de transport des hydrocarbures du Consortium Doba Esso, Petronas, Société des hydrocarbures du Tchad SA [SHT]) de 1988 et 2004 ».
Bien plus, le pays de Toumaï fait valoir son droit de préemption en nationalisant immédiatement tous les actifs rachetés à Exxon Mobil par Savannah Tchad. Il s’agit de 40% de Esso Exploration and Production Chad Inc (Eepci), qui exploite les puits de pétrole de Doba dont la production est expédiée par le pipeline et de Tchad Oil Transportation Company (Totco) qui gère le pipeline au Tchad (178 km).
Alors que Petronas a manifesté son désir de se retirer du projet, N’Djamena réussit à convaincre la multinationale malaisienne de lui céder ses parts. Le communiqué de la présidence tchadienne renseigne, à cet effet, que le contrat de cession a déjà été signé entre les deux parties et soumis aux autorités en charge de la concurrence de la Cemac pour validation. Mais le document ne précise pas si cet accord concerne les actifs dans Eepci (35%) et dans Cotco (29,77%). Mais si c’est le cas, cette transaction permettrait au Tchad de prendre le contrôle du pipeline coté Cameroun avec 53,77% des parts de Cotco.
Toutechose qui pourrait être à l’origine des blocages du côté de Yaoundé . Car le communiqué de la présidence Tchadienne précise que le Cameroun est resté sourd à ses interpellations via les lettres de demande d’avis de non-objection adressés par la commission de la concurrence dans le cadre de la reprise des actifs de pétronas par le Tchad. De son côté le Cameroun a toujours affiché sa détermination à engranger plus de ressources de cet oléoduc déployé en majorité sur son territoire. C’est dans ce sens que Yaoundé a obtenu un relèvement du taux du droit de transit à 1,30 dollar par baril, contre 0,41 dollar auparavant.
L’accord y afférant prévoit l’actualisation de ce taux toutes les cinq années sur la base de la moyenne des taux d’inflation annuels enregistrés au Cameroun pendant cette période. Sur cette base, le taux du droit de transit a été actualisé le 30 septembre 2018, passant de 1,30 à 1,32 dollar par baril. Avec les 10% des parts de la Snh dans l’actionnariat de Cotco, le Cameroun reste en pôle position pour étendre son emprise sur le pipeline et renflouer ses caisses.